jeudi 8 janvier 2015

Compte-rendu des JOURNÉES GRAND PUBLIC SUR LE THÈME DES ADDICTIONS 2013

Compte-rendu des JOURNÉES GRAND PUBLIC SUR LE THÈME DES ADDICTIONS 2013




La Fédération pour la Recherche sur le Cerveau et Réunica sont partenaires depuis trois ans pour financer des projets de recherche sur le cerveau, contribuer à  la campagne nationale du Neurodon lors de la Semaine du Cerveau et mettre en place des actions de sensibilisation. Quatre journées dédiées aux addictions ont, dans le cadre de ce partenariat,  été organisées en 2012 et 2013 à Paris, Strasbourg, Marseille et à Besançon.

L’objectif était de présenter au public l’état actuel des connaissances permettant la compréhension des addictions ainsi que les dernières avancées de la recherche scientifique en la matière.

Un guide « quand mon cerveau devient accro » et une z-card « addictions, attention ! » ont été édités, donnés au public et mis à la disposition des patients dans les salles d’attentes de médecins des régions concernées.

1- Addiction aux substances et rôle du cerveau dans les addictions

Compte-rendu basé sur les interventions à Strasbourg de Jean-Philippe Lang (psychiatre addictologue au CIRRD d’Alsace) et de Jean Zwiller (psychiatre, spécialiste de la toxicomanie), à Besançon de Joël Boiteux (psychiatre au CHU de Besançon), à Paris de Jean-Antoine Girault (directeur de recherche à l’Inserm à l’institut du Fer à Moulin à Paris) et à Paris et Marseille de Jean-Pol Tassin (directeur de recherche à l’Inserm à l’Université Pierre et Marie Curie).

L’addiction – une pathologie multifactorielle

« L’espèce humaine est fondamentalement dépendante et se doit d’acquérir la capacité à être bien seule, à être autonome. La liberté est une mise à l’épreuve des ressources personnelles et des capacités créatives », explique le Dr Jean-Philippe Lang. Selon lui, l’addiction peut faire partie d’une stratégie adaptative de défense. C’est un outil de construction parmi d’autres. Mais cet outil est risqué.

  Le terme « addiction » est souvent utilisé à mauvais escient. Le Dr Jean-Antoine Girault propose une définition du NIDA (National Institute of Drug Abuse) : c’est une affection cérébrale chronique, récidivante, caractérisée par la recherche et l’usage compulsifs de drogue, malgré la connaissance de ses conséquences nocives. L’addict au sens pathologique ne peut pas arrêter même s’il le souhaite.

Toute consommation de produits addictifs (tabac, drogues, alcool) ne conduit pas nécessairement à une dépendance. Joël Boiteux définit quatre types d’usage :

·       simple,

·       à risque (peut provoquer des accidents),

·       nocif (consommation répétée mais sans dépendance),

·       avec dépendance (impossible d’arrêter la consommation même en le voulant).

Le quatrième usage, dit avec dépendance, mène à un état pathologique. Il est issu de la convergence de facteurs sociaux, psychologiques, familiaux, biologiques, environnementaux et génétiques. Selon Claude Olievenstein, le risque de dépendance dépend de la rencontre entre un individu, un produit et un environnement. Il le définit selon l’équation : Risque R = V x P x E. Le risque est donc la combinaison des facteurs de vulnérabilité V, des caractéristiques liées aux produits P et des facteurs d’exposition E.


Un processus neurophysiologique au cœur des addictions



Figure 1 Le circuit de la récompense – Source : présentation du D. Joël Boiteux / Besançon.

L’addiction est une affection cérébrale dont on commence à connaître les mécanismes grâce aux nombreuses études réalisées sur les animaux (rats, souris, singes) et sur l’homme via les techniques d’imagerie comme l’IRM. Le processus physiologique impliqué dans l’addiction se nomme le circuit de la récompense. Il permet d’expliquer biologiquement l’état d’addiction. Au sein du cerveau, 4 structures sont impliquées : le cortex frontal, l’hippocampe, l’amygdale et le septum. Ils filtrent l’information neuronale et l’envoient vers l’hypothalamus, qui fait la liaison entre le système nerveux et la sécrétion des hormones. Chez tout individu, la prise de substances actives ou l’occurrence d’une situation plaisante activent ce système. Pour une personne dépendante, ce système est déréglé. L’absence de substance ou de stimulation crée un manque. L’hypothalamus reçoit une information négative perçue comme un risque vital par le cerveau.

L’information est transmise le long des neurones de façon discontinue. L’espace entre les neurones est appelé synapse. La sécrétion de neurotransmetteurs tels que la dopamine, la sérotonine, le GABA ou la noradrénaline assure le passage au niveau des synapses. Jean-Pol Tassin souligne le rôle central de la dopamine dans le circuit de la récompense. Cette molécule a longtemps été appelée la molécule du plaisir. On sait aujourd’hui qu’elle n’est pas l’unique molécule impliquée et que le circuit de la récompense fait intervenir des mécanismes complexes.


Figure 2 Sécrétion de la dopamine dans la synapse -­‐ Source : présentation du D. Jean Swiller / Paris.

Comprendre ces mécanismes passe par une connaissance des bases de la neurotransmission. Un neurone est composé de 3 parties : les dendrites reçoivent l’information, le corps cellulaire et transmise par l’axone. La terminaison de l’axone contient des vésicules, sortes de petites poches remplies de neurotransmetteurs spécifiques à chaque neurone. Une stimulation positive conduit à la fusion des vésicules avec la membrane de la terminaison de l’axone (pré-synaptique). Le neuromédiateur est ainsi libéré dans la synapse. Il peut alors se fixer sur les récepteurs spécifiques présents sur le neurone suivant (post-synaptique) et ainsi transmettre le signal. Par la suite, d’autres molécules appelées « transporteurs » captent le neurotransmetteur émis, arrêtent son action et le recyclent.

Des substances qui détournent ce mécanisme biologique

Les substances addictives agissent à différents niveaux du processus de transmission neuronal. La cocaïne, par exemple, agit dans les synapses. Elle se fixe sur les transporteurs pré-synaptiques. Elle empêche ainsi le recyclage de plusieurs neurotransmetteurs (dopamine, noradrénaline et sérotonine) qui restent dans la synapse et continuent à stimuler le neurone post-synaptique. Jean Zwiller, directeur de recherche au CNRS à l’Université de Strasbourg, précise que le sentiment de “rush” recherché lors de la prise de drogues est atteint lorsqu’au moins 47% des récepteurs sont bloqués.

Plus de 99% des neurones du système nerveux central servent à recevoir et à traiter l’information. Les autres circuits minoritaires, tels que celui de la récompense ou bien celui de la régulation de l’appétit, sont des modulateurs. Ils utilisent la dopamine, la noradrénaline, la sérotonine et d’autres neurotransmetteurs pour intervenir sur le psychisme. Il existe évidemment un couplage entre les différents systèmes de régulation : sérotonine/noradrénaline et dopamine. Cette double régulation permet la maîtrise des émotions et la modération des réactions face à des situations de crise ou de plaisir. L’utilisation de substances psychoactives conduit à un découplage. Le système ne peut plus assurer la maîtrise des émotions. On observe alors une hyper-émotivité liée à une perturbation de la production de dopamine.

Jean Zwiller souligne les effets des différentes drogues. Les amphétamines ont par exemple une structure proche de la dopamine. Ils peuvent être captés par les transporteurs et perturbent le stockage de la dopamine. Celle-ci est alors libérée. Elle s’accumule dans la synapse. Aujourd’hui, ces substances ont été remplacées par les métamphétamines dont les effets sont beaucoup plus intenses. L’héroïne et le cannabis agissent sur les neurones qui régulent la sécrétion de dopamine. Avec des modes d’action différents, ils les inhibent et augmentent ainsi la libération de dopamine. La nicotine possède des récepteurs spécifiques sur les neurones dopaminergiques. Elle se fixe sur ces derniers et déclenche l’augmentation de la libération de dopamine. « Les drogues usurpent le circuit de récompense qui sert habituellement à la motivation et pas au plaisir » conclut Jean Zwiller.

L’adolescence, une période de vulnérabilité importante

Au niveau du cerveau, deux types de mécanismes expliquent les effets de l’addiction. Un mécanisme d’adaptation, de compensation, se met en place lors de la prise de drogues. L’arrêt provoque un déséquilibre conduisant au syndrome de manque, qui peut être très sévère. Ce syndrome, s’il est bien pris en charge, peut disparaître assez rapidement (en quelques jours à quelques semaines). Autrefois, on considérait qu’il suffisait d’arrêter la consommation pour sortir de l’addiction. On sait aujourd’hui qu’il n’en est rien. Le cerveau est en perpétuelle adaptation. Selon les stimuli environnementaux perçus, il met en place un système d’apprentissage qui persiste pour un temps variable et s’avère parfois définitif. Ce phénomène est à l’origine de ce que l’on appelle « la rechute ». Un fumeur ou un alcoolique sevré ne pourra plus jamais consommer une cigarette ou boire de l’alcool sans prendre le risque de retomber dans l’addiction.

Le cerveau des adolescents est en plein développement, notamment le cortex préfrontal qui permet le raisonnement. Ceci explique leurs comportements parfois impulsifs. Une consommation précoce de substances peut impacter le développement majeur de ce cortex et éventuellement les capacités de raisonnement. Plus les jeunes consomment tôt, plus les neurones s’adaptent et plus la dépendance sera importante. Pour Joël Boiteux, le « paradoxe ou l’ironie de la nature est que le cerveau de l’adolescent est vulnérable car en pleine maturation. C’est aussi le moment où il est le plus exposé aux drogues… ».

Addiction et dépendance – Le mot « addiction » est un anglicisme qui n’existait pas il y a 20 ans dans le dictionnaire français. La prochaine classification internationale (DSM V) ouvre un débat sur l’utilisation du terme « addiction » ou « dépendance ». L’origine latine du mot « addiction » fait référence à l’asservissement, à la perte de liberté, d’une personne assujettie à une dette.

«Dépendance» est parfois plus utilisé pour désigner la dépendance physique à l’origine du syndrome de manque et de sevrage.
Des substances, des addictions

Lorsque le système de récompense est trop stimulé, le cortex préfrontal se met au repos. Chez les addicts, ce cortex est quasiment mis de côté. Ils ne peuvent plus mener de réflexion cohérente et objective. Tout se passe alors dans le système archaïque de la récompense, celui possède les automatismes. L’addiction est une véritable maladie. Tous les individus n’y sont pourtant pas vulnérables. En moyenne, moins de 26 à 28 % des consommateurs deviennent dépendants. Ce chiffre tombe à 7 à 8 % pour le cannabis, 15 % pour la cocaïne et 30 % pour le tabac qui est le produit le plus addictif. À noter que ce n’est pas la nicotine seule qui est responsable de cette addiction mais aussi les sucres qui sont transformés en aldéhydes au moment de la consommation. Les aldéhydes sont responsables de l’augmentation de dopamine, de noradrénaline et de sérotonine.

Le circuit de la récompense est un processus complexe qui diffère d’un individu à l’autre. Les facteurs externes tels que le stress, l’environnement social, ainsi que les facteurs internes, tels que l’âge, impactent un système neuronal en perpétuel apprentissage. Nous sommes inégaux face aux addictions. Ce n’est pas qu’une question de volonté. C’est souvent le fait de reconnaître sa dépendance et d’aller chercher de l’aide auprès des spécialistes et des proches qui permet de sortir de cet engrenage.

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Les questions du public :

(Besançon) En identifiant le circuit de la récompense impliqué dans toutes les formes d’addiction, pourrait-on imaginer une molécule pour soigner tout le monde ?

Joël Boiteux - Il y a de nombreuses études en cours pour tester des molécules ayant un rôle dans les différentes addictions. Néanmoins le médicament miracle n’a pas encore été découvert. Actuellement, on produit essentiellement des molécules pour lutter contre l’alcoolisme.

(Paris) Comment expliquer que certaines personnes ne puissent plus se passer des chewing-gums à la nicotine ?

Jean-Pol Tassin - L’un des effets majeurs de la nicotine est la stimulation intellectuelle. Elle s’inscrit dans un cadre social. Elle est aussi très liée à un ensemble d’habitudes et de rituels quotidiens que de nombreux fumeurs abstinents remplacent par d’autres habitudes moins nocives.

(Paris) Devient-on addict ou naît-on addict ?

Jean-Pol Tassin - Même s’il existe des facteurs génétiques propices à la dépendance, ces mécanismes sont beaucoup plus complexes. Ils font intervenir de nombreux autres facteurs. Ce sont surtout l’environnement et le développement neuronal qui entrent en jeu. À la rigueur on peut naître vulnérable. Le reste développe cette vulnérabilité.

Jean-Antoine Girault - On cherche actuellement à trouver les gènes favorisant la vulnérabilité à l’addiction. Il n’y a pas un gène mais plusieurs gènes qui sont impliqués selon des schémas très complexes.

(Paris) Comment expliquer que l’on compte un nombre important de personnes alcooliques alors que le pouvoir addictif de l’alcool est assez faible ?

Jean-Pol Tassin - L’alcoolisme touche en effet de nombreuses personnes car 96 à 98 % des gens consomment de l’alcool. L’alcoolisme survient souvent suite à une situation d’anxiété qui est soulagée par l’alcool.

(Strasbourg) La cocaïne induit-elle une psychose ou la révèle-t-elle ?

Zwiller - C’est un débat actuel. Les cas restent rares mais il semblerait que la cocaïne induise la psychose paranoïde.

2 -Addictions comportementales ou addictions sans produit


Compte-rendu basé sur les interventions à Paris de Laurent Karila (psychiatre et addictologque, spécialiste des addictions à la cocaïne et au sexe au CERTA à Villejuif), à Besançon de Nazim Nekrouf (psychiatre, spécialiste des jeux d'argent à Besançon) et à Strasbourg de Yann Hodé (psychiatre et neurobiologiste à Rouffach).

Les addictions dites « comportementales » correspondent à une notion récente et encore mal connue. Elle comprend toutes les dépendances qui ne sont pas liées à un produit : addiction au sexe, aux jeux d'argent, aux jeux vidéo, au sport, à Internet, aux achats... Le terme est aussi utilisé de manière plus large pour désigner des troubles du comportement, des troubles alimentaires ou parfois pour définir les actes des tueurs en série. En l’absence de produits addictifs, ces dépendances ne sont pas officiellement considérées comme des addictions mais comme des troubles obsessionnels compulsifs (TOC). Pourtant, selon Yann Hodé, « il suffit de remplacer le terme produit par comportement dans les définitions officielles pour avoir celle d'une addiction comportementale ».

De grandes similitudes avec l’addiction aux psychotropes

Les critères de diagnostic sont les mêmes que pour les addictions aux drogues. On parle de pathologie ou d’addiction lorsque la personne s'expose à des risques lors d’une consommation (maladies sexuellement transmissibles, faillite, etc.), ou quand sa consommation représente une véritable gêne dans sa vie quotidienne. La perte de contrôle face à une situation que la personne sait être néfaste est donc à nouveau le critère principal pour identifier une conduite dépendante.

Ces addictions sont associées à des réponses cérébrales similaires à celles induites par les drogues classiques (hyperactivité du cortex orbito-frontal, sécrétion de dopamine, etc.). Leur intensité reste néanmoins plus faible. Les personnes sujettes à ce type d'addiction sont généralement plus vulnérables psychologiquement. Elles sont prédisposées aux addictions. « S'il y a trouble comportemental, c'est que le cerveau ne fonctionne pas comme il le devrait » explique Yann Hodé.


 Figure 3 Les jeux d'argent, une addiction qui ne date pas d'hier -­‐ Source : présentation du de Pascal Perney / Marseille.
   
Les addictions comportementales sont généralement associées à d'autres troubles psychiatriques (troubles anxieux, troubles obsessionnels compulsifs, troubles de la personnalité, etc.) qui doivent être pris en compte dans le traitement. Dans 25 à 70% des cas, les personnes sont aussi en proie à des addictions à des produits (alcool, tabac ou drogues stimulantes) et/ou cumulent deux addictions comportementales (compulsivité au travail, aux achats, etc.).

L'efficacité des traitements médicamenteux pour ce type d'addiction n'est pas prouvée. Certains antidépresseurs font baisser le taux de production de dopamine. Ils réduisent donc les pulsions (notamment sexuelles). Généralement, le traitement associe une thérapie comportementale à la prescription de médicaments. Des thérapies de groupe sont parfois envisagées et les patients bénéficient souvent d'un traitement social (mise sous curatelle, interdiction de casino pour les addicts aux jeux d'argent). « Mis à part pour les situations d'illégalité, le traitement ne vise pas l'abstinence totale. La thérapie vise avant tout une réduction des risques » précise Laurent Karila.

Diversité des objets et des addictions

L’addiction comportementale est le résultat de l’interaction entre un individu et un objet ou un comportement. L’hypersexualité, ou addiction sexuelle, peut par exemple s’exprimer vis-à-vis d’un objet (la pornographie) ou d’un comportement (masturbation compulsive, multiplication des partenaires sexuels ou séduction compulsive). Les sex addicts sont « otages de leur pulsions sexuelles, leur vision de la société est parasitée en permanence par leurs désirs » expose Laurent Karila. Ils mènent une sorte de double vie. Le second motif de consultation, après le travail, est la mise en péril du couple.


Figure 4 L'achat compulsif est-­‐il une addiction ou un TOC ? -­‐ Source : présentation du D. David Magalon / Marseille.
 
Cette perte de contrôle est retrouvée de façon très intense chez les joueurs pathologiques. Ceux-là n'arrivent plus à prendre de recul sur leurs gains et leurs pertes. Dans le jeu, on distingue 3 phases : une phase de gain pendant laquelle le joueur développe une représentation positive de lui-même, une phase de perte, le joueur se remémore alors les moments où il gagnait, et enfin une phase de désespoir. Le joueur perd continuellement mais continue à jouer. On retrouve ainsi la construction progressive d’un schéma d’addiction où la mémoire et le système de récompense jouent un rôle important. Des études montrent que chez un joueur pathologique, les convictions de gains se renforcent au cours du jeu, alors qu'elles diminuent chez les sujets sains. Pendant la phase de désespoir, « le jeu devient une pratique antidépressive et apaisante » explique Laurent Karila.

Les nouvelles technologies sont souvent perçues avec la crainte de réveiller de nouvelles addictions. « La cyberdépendance est un fourre-tout monumental » résume Nazim Nekrouf. Le terme correspond aussi bien aux joueurs compulsifs de jeux vidéo, aux addicts à Twitter, qu'à des personnes errant pendant des heures sur Internet. Dans le cas des jeux vidéo, les jeux en ligne multi-joueurs font le plus d'addicts, notamment chez les jeunes. « Ces jeux sont véritablement addictogènes pour les personnes vulnérables. Sans s’en rendre compte, les joueurs passent de plus en plus d'heures à jouer, » explique Laurent Karila. Pour les jeux violents, des études ont montré qu’il existait des corrélations entre la violence des images montrées et l'agressivité des joueurs au quotidien. Le sujet reste néanmoins fortement controversé.

Les conséquences physiques des addictions aux jeux vidéo sont importantes : troubles du sommeil, de la nutrition, maux de tête, troubles de la vision, etc. Elles s'accompagnent de conséquences sociales (absentéisme, baisse des performances scolaires, etc.) et de troubles psychiques, des périodes de dépression et d'anxiété, qui sont tous autant de signaux d'alerte. Des conséquences du même type se retrouvent chez les autres addictions comportementales.

 
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Questions du public :

 (Paris) Considérez-vous le fait d'être classé dans le DSM IV* comme un critère de diagnostic ?

Laurent Karila - Le DSM IV n'est pas la bible pour faire des diagnostics. Même s’ils n'apparaissent pas dans ce manuel, les symptômes des addictions comportementales, pris un par un, correspondent à des critères d'addiction standard.

* « Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders » pour Manuel de diagnostic et statistique des troubles mentaux est un manuel de classification international des maladies mentales.

(Besançon) Est-ce que vous pensez que les progrès de la recherche sur le cerveau vont aider les concepteurs de jeux à augmenter le nombre de cas pathologiques addictifs ?

Nazim Nekrouf - Je ne pense pas que ça les intéresse de créer du jeu pathologique, mais évidemment ils veulent qu'il y ait plus de joueurs. Le neuromarketing permet en effet de créer des jeux de plus en plus ciblés, adaptés aux différents types de joueurs.

(Besançon) Quel impact peut avoir l'entourage familial sur les addictions ?

Nazim Nekrouf - Dans le cas d'une addiction, l'entourage lui aussi est pris dans la problématique addictive. Il peut à son insu entretenir l'addiction. Le discours des proches ne doit pas être moralisateur, ni braquer la personne qui a déjà l'impression de perdre le contrôle.

(Strasbourg) Est-ce que tous ces disfonctionnements ne seraient pas liés à la modernité ?

Yann Hodé - Les maladies psychiatriques ne sont pas plus fréquentes aujourd'hui que par le passé. Même s'il n'y a pas d'études sur le sujet, les sociétés primitives peuvent très bien faire l'objet d'addictions.



3- Prévention et prise en charge

Compte-rendu basé sur l’intervention à Strasbourg de Jean-Philippe Lang, psychiatre addictologue (CIRRD Alsace), à Besançon d’Annie Baulay (unité d’addictologie et de psychologie médicale au Centre Hospitalier Intercommunal de la Haute-Saône) et les propos échangés lors d’une table ronde organisée à Paris entre :

Soraya Berichi chargée de mission à la Mission interministérielle de la lutte contre la drogue et la toxicomanie (Mildt), psychologue clinicienne et addictologue
Nicolas Bonnet, directeur du réseau des établissements de santé pour la prévention des addictions (RESPADD) et responsable du service jeunes consommateurs (Hôpital Pitié-Salpêtrière, Paris)
Jean-François Berteigne, médecin spécialiste des addictions (Clinique Montevideo, Boulogne Billancourt)

« L'addiction est un problème de santé publique majeur pour la France qui investit peu d'argent dans les soins et la prévention et bien plus dans la répression » dénonce Annie Baulay. Pourtant, un euro investi dans la prévention permet d'économiser trente euros de soins. Pour Nicolas Bonnet, « la question de la prévention et de la prise en charge s'inscrit plus généralement dans un débat public de refonte globale de la politique des drogues en France ». Les structures de soin sont mal réparties géographiquement. Peu de programmes de recherche visent à développer de nouveaux médicaments pour les addictions.



Les drogues banalisées et accessibles

Figure 5 L'alcool, une substance meurtrière mais légale -­‐ Source : Présentation du D. Joël Boiteux / Besançon
La société actuelle est véritablement addictogène. Annie Baulay explique que « nous sommes dans le culte de la performance, de la compétitivité et de la rapidité ». Les images véhiculées dans la culture et les médias entretiennent ces représentations. Elles valorisent la prise de drogues qui apparaît chez les plus vulnérables comme une solution pour surmonter leurs difficultés. Les drogues sont en parallèle de plus en plus bon marché. Leur consommation s’est banalisée. L'addiction peut toucher tout le monde. Jean-François Berteigne rappelle qu' « un évènement de vie peut suffire à rendre quelqu'un vulnérable quels que soient sa catégorie sociale ou son âge. Personne n'est à l'abri ».

Améliorer la prévention

La prévention n'a pas donné pour le moment de bons résultats. Pour qu'elle soit plus efficace, elle doit être participative et adaptée au public visé (enfants, jeunes actifs, adultes, etc.), aux types de drogue et à la façon de consommer. La prévention contre les addictions comportementales et les drogues autres que l'alcool, du tabac et du cannabis, n’est pas assez développée.

Il existe trois types de prévention : primaire (agir avant la consommation), secondaire (agir chez les personnes susceptibles de développer une addiction), et tertiaire (prévention quand l'usage est installé). Des actions concrètes sont menées notamment dans le milieu scolaire, auprès des parents et des enseignants. Les jeunes sont plus facilement influencés par leurs pairs. La prévention ne doit donc pas se cantonner aux structures de soin mais doit aussi avoir lieu dans les écoles, les universités, les clubs de sport, les milieux festifs, les entreprises, etc.

Adapter le message

Nicolas Bonnet explique que « quand on prend en charge une consommation, on doit prendre en charge également l'environnement de la personne ». Beaucoup d'efforts sont encore à faire pour dépister les cas d'addiction. La famille joue un rôle primordial dans le dépistage et le traitement de la personne addict. Les soignants, les enseignants et les éducateurs manquent de formation dans le domaine. Pourtant un simple questionnaire ou un entretien sur les consommations fait baisser spontanément la quantité de produits consommée.

Le message de prévention ne doit pas se limiter au produit mais doit aussi mettre l’accent sur l’élément déclencheur de l'addiction. « Il faut faire la part des choses et avoir un discours clair » explique Jean-François Berteigne. « Les jeunes connaissent les produits. Il faut leur en parler mais sans diaboliser ou minimiser les risques ». Aujourd'hui, la prévention ne cherche plus seulement à informer, mais aussi à donner des armes aux jeunes pour qu'ils ne cèdent pas aux sollicitations sociales de prise de drogue.



4 - Les addictions à internet et aux nouvelles technologies de communication numérique

Compte-rendu basé sur une table-ronde organisée à Paris et faisant intervenir Serge Tisseron, psychologue, psychiatre et psychanalyste, auteur de 40 ouvrages et scénariste de BD, Thomas Gaon, psychologue clinicien au Centre Littoral de Villeneuve St Georges et Muriel Grégoire, psychiatre au centre médical de Marmotan et addictologue.

Internet : Contenus addictifs ou contenant ?

Comme toutes les technologies de pointe, les nouvelles manières de communiquer posent des problèmes qui leurs sont propres. En ce qui concerne Internet, il faut distinguer les addictions aux contenus et au contenant. Internet permet de véhiculer des informations et des contenus de toutes sortes de façon immédiate et illimitée. Addiction à l’immédiateté, à l’universalité, à l’abondance. Internet en tant que contenant apporte son lot d’occasions de faire murir de nouvelles addictions.

Plus souvent, les personnes sont accros aux contenus fournis par internet, essentiellement les jeux en ligne, la pornographie, les séries et les chats. En ce sens, ce nouveau média n’a rien inventé mais il a parfois accentué certains problèmes. Il est possible que l’ouverture des jeux d’argent en ligne ait entraîné la rechute de certains addicts. Néanmoins, comme le rappelle judicieusement Thomas Gaon, « Toutes les inventions humaines ont été créées pour favoriser ce qu’il y a de mieux dans l’homme. Mais toutes ont été détournées par le pire de l’homme. Internet n’a pas encouragé ou aggravé les addictions plus que d’autres inventions comme l’imprimerie, le vélo ou la chimie.


 
Figure 6 Les jeux‐vidéo sont souvent source de conflits entre adolescents et adultes -­ Source : Alain Bachelier / Flickr.

Une consommation banalisée, facile, à l’abri des regards

Un aspect particulier de ce média est l’anonymat. L’accès aux contenus a été apporté jusque dans nos maisons. Il est possible de donner libre court à ses pulsions en toute discrétion, loin du regard des autres. Ce média a aussi supprimé les contraintes d’accessibilité, de rareté et de déplacement. Cela favorise les consommations excessives.

L’être humain a donc pour tâche de réguler lui-même sa consommation face à l’abondance dans une société moderne qui offre de moins en moins de cadres. Nos sociétés modernes entretiennent le culte de l’individu. Les addictions apparaissent lorsque le rapport au monde et les relations avec les autres ne sont pas assez satisfaisantes. Internet et les jeux multi-joueurs permettent de pallier l’absence de contact avec les autres, de dématérialiser les relations sociales. Les phobies sociales ou le manque de confiance en soi s’effacent alors derrière une identité numérique idéalisée.

En somme, ce nouveau mode de consommation, l’accessibilité des contenus et l’immédiateté et le caractère virtuel du contenant favorisent certaines conduites addictives. Néanmoins, Internet, pas plus que les autres technologies, n’a inventé de nouvelles addictions. Ce que l‘on appelle les cyberaddictions ne sont que l’expression numérique de pulsions qui ne trouvent pas leur contentement dans la vie quotidienne réelle. Ainsi, plutôt que de dénoncer les dangers de l’addiction, faut-il surtout tâcher de recréer ce lien social indispensable à la construction et au bien-être de l’être.

Pour des raisons d’ordre technique l’enregistrement de la journée qui s’est déroulée à Marseille n’a pu être retranscrit dans cette synthèse, et nous prions les intervenants de bien vouloir nous en excuser.

Intervenants :

Paris

Dr Jean-François Berteigne, clinique Montevideo

Dr Nicolas Bonnet, Directeur du Réseau de Prévention des Addictions (RESPADD
Dr Alain Dervaux, service addictologie, centre hospitalier Sainte-Anne

Dr Jean-Antoine Girault, Directeur de recherche à l’INSERM

Dr Muriel Gregoire, service addictologie hôpital Marmottan

Dr Lauren Karila, psychiatre, hôpital Paul Brousse à Villejuif, Centre d’Enseignement, de Recherche et de Traitement des Addictions 5CERTA

Pr Jean-Pol Tassin, Directeur de recherches au Collège de France

Marseille

Dr Christelle Baunez, Laboratoire de Neurosciences Cognitives Aix-Marseille Université

Dr Nicolas Bonnet, Directeur du Réseau de Prévention des Addictions (RESPADD Paris)
Pr Christophe Lançon, chef du service de psychiatrie et d’addictologie à l’hôpital Sainte-Marguerite

Dr David Magalon, psychiatre, service addictologie à l’hôpital Sainte Marguerite

Dr Flora Pascuttini, psychiatre au Centre Hospitalier Valvert

Pr Pascal Perney, chef du service addictologie CHU Carémeau à Nîmes

Anne-Gaëlle PERRAIS, chargée de mission, observation Dispositif d’Appui Drogues et Dépendances (DADD) région Provence Alpes Côte d’Azur

Pr Nicolas Simon, Faculté de médecine de Marseille, chef du Service Pharmacologie Clinique service d’addictologie hôpital Sainte Marguerite

Pr Jean-Paul Tassin, Directeur de recherches au Collège de France (Paris)

Strasbourg

Dr Katia Befort, chercheur CNRS à l’IGBMC (Institut de Génétique et de Biologie Moléculaire et Cellulaire) Strasbourg

Dr Yann Hodé, psychiatre au centre hospitalier de Rouffach

Dr Jean-Philippe Lang, Président du CIRDD (Centre d’information Régional pour les Drogues et les Dépendances) Alsace

Dr Jean Zwiller, directeur de recherche du CNRS au LINC (Laboratoire d’Imagerie et de Neurosciecnes cognitves) de Strasbourg

Besançon

M. Lilian Badé, Délégué adjoint de l’Union Régionale Franche-Comté de la Fédération Addiction

Dr Annie Baulay, Responsable du service addictologie du Centre Hospitalier intercommunal de Haute-Saône et administrateur du Réseau 25

Dr Joël Boiteux, psychiatre au sein de l’équipe de liaison et de soins aux toxicomanes dans le service de psychiatrie du Centre Hospitalier Régional Universitaire à l’Hôpital Saint-Jacques de Besançon

Dr Emile Levêque, Centre Hospitalier Régional Universitaire à l’Hôpital Saint-Jacques de Besançon

Dr Nazim Nekrouf, spécialiste des jeux de hasard et d’argent au Centre Hospitalier Régional Universitaire à l’Hôpital Saint-Jacques de Besançon

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